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Nouvelle tribulation : Cache-cache avec le cerf

Publié le par baladesenpyrenees

-Tu te cales. Tu écoutes. Tu jumelles.

Une injonction digne de l’ancien premier ministre, Dominique de Villepin.

Caché à l’abri d’un bloc de granit, et chaudement couvert, Jean-Luc Planes est à l’affût d’un cerf, avec un autre chasseur, Dany, 75 ans, venu de… Suisse. Avec Georges le photographe, nous nous faisons petits et discrets.

Il est 6 h 30, un matin d’octobre en Cerdagne. Le soleil vient de se lever et rosit petit à petit les étangs de la vallée des Bouillouses. Quelques canards en migration s’y reposent. Jean-Luc, grand brun efficace, intuitif et précis, évolue côté pile comme chef de l’hôtel-restaurant la Vieille maison cerdane, à Saillagouse. Côté face, son bagou phénoménal et ses sens aiguisés ont fait de lui un guide de chasse, quatre mois par an à plein temps, depuis 2009.

-Après quelques soucis de santé, j’ai décidé de vivre ma passion, me raconte-t-il.

En France il n’y a pas de titre officiel, mais la fédération française de chasse propose une formation. C’est un métier qui exige de la précision et de tout noter sur un registre.

Quand il commence à évoquer ce métier insolite, ses yeux s’allument.

-Ce qui me plaît, c’est d’être dans ma montagne.

L’approche, c’est devenir un peu sioux. Il piste l’animal, se met dans sa peau.

-J’imagine le biotope où il pourrait se cacher pour qu’on le débusque.

Pour preuve, Jean-Luc resserre ses mains devant sa bouche pour s’en servir d’appeau. Et là, il se met à imiter le cri du cerf. Il brame une fois, deux fois, trois fois. Et ça marche. On entend bramer deux fois à gauche. Une harde de cinq biches puis un cerf surgissent d’un coup du sous-bois de l’autre côté du lac. J’écarquille les yeux. Jean-Luc n’en perd pas une miette.

-Ils sont à 340 mètres. Tiens-toi prêt, Dany !, chuchote-t-il. 

Mais le cerf tourne la tête vers nous.

Un silence d’une éternité plane au-dessus de nous. Et puis le cerf fait faux bond et rentre dans le sous-bois. Les deux chasseurs se toisent. Nous nous levons l’oreille aux aguets. Ça se remet à bramer dans un autre secteur.

-On part par-là !”, fait signe Jean-Luc. Avec des chaussures souples et un pantalon qui ne fait pas de bruit, marchant le moins possible sur des branches et évitant les pierres qui roulent, nous avançons à pas feutrés dans cette grande steppe appelée le Désert du Carlit. Nous sommes, ce jour-là, les seuls humains sur le secteur… sur la piste du cerf.

Un cache-cache grandeur nature est en train de se mettre en place, digne de Duel de Steven Spielberg

Justement, alors que le brouillard est en train de monter, Jean-Luc aperçoit un cerf.

-C’est une bête de 200 kilos au moins. Enfile ta cagoule.

Jean-Luc imite à nouveau le brame pour le faire sortir.

Le cerf, rusé, se cache derrière un sapin. Le jeu de piste commence, au pied de la vallée de la Grave.

-Il ne faut pas lâcher, Dany !” On se croirait à la poursuite d’octobre rouge. Tout au jugé, nous traversons fourrés et chaos de rochers, avec juste pour bruit, désormais, le chant des ruisseaux.

Jean-Luc sait nous faire écouter la nature, être avec elle et nous faire marcher dans des grands espaces magnifiques, souffle Dany.

Jean-Luc, lui, conseille : Comme au tir à l’arc, tu rampes pour l’approche et tu ne bouges plus pour laisser le cerf se déplacer et venir à toi.

Moi, derrière, je souhaite que le cerf ne se fasse pas tuer. Cerf, cerf, où es-tu ?

-Si j’étais cerf, voilà où je passerais, indique notre chasseur.

Mais cette fois-ci, c’est moi qui me précipite et arrive le premier en haut sur le rocher pour que ce coquin de cerf nous échappe à nouveau.

Puis nous tombons sur une biche avec son faon. Pas de tir.

Ouf, nous les regardons s’éloigner.

Trois mouflons descendent à quelques mètres au-dessus de nous, alors que nous sommes arrêtés sur un rocher sous des pins à crochets pour pique-niquer. Il se met à pleuvoir.

-Il est temps de rentrer, annonce Jean-Luc, un peu dépité.

Il faut que ça reste du plaisir. Et là, nous ne ferons rien de bon.

Ce soir-là, je suis rentré heureux, comme un nouveau garde-cerf.

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