-C’est la seule cascade en condition de toute la Cerdagne depuis fin novembre ! Alain Place, guide de haute montagne, et ancien du peloton de gendarmerie de haute montagne d’Osséja, nous l’a assuré, à JC le photographe et moi.
-Vous n’allez pas repartir de la station du Cambre d’Aze sans l’avoir essayée !
Alors à dix minutes à pied du télésiège du Mouli, dans le cirque du Cambre d’Aze, par un discret sentier montant à droite, on découvre celle qui capte toutes les attentions du moment : la cascade de glace du Coscoll.
-C’est l’équipe de la station qui l’a pétrifiée en début de saison avec un tuyau d’eau. Exposée au nord, elle est vraiment excellente pour l’initiation. D’ailleurs, ses trois voies sont de plus en plus fréquentées.
On contemple une vraie glace à l’italienne de trente-cinq mètres de haut et de dix de large. Nous par contre, on n’en mène pas large. Nez en l’air, l’air béat, on reste presque pétrifiés par un torticolis à force de lorgner la technique de notre guide, le temps pour lui d’équiper la voie. Le temps pour JC et moi de nous transformer sur ce ressaut ombragé, en glaçons vrp voire en bonhommes de glace.
Heureusement, notre guide redescend jusqu’à nous et me demande d’enfiler casque, gants souples et crampons pendant qu’il hisse mon collègue JC pour qu’il fasse des photos d’en haut, réussissant ainsi en catimini à éviter l’exercice.
Alain me tend alors ses piolets galbés, adaptés à la forme de la cascade et me dit :
-Comme la glace est dure, ne fais pas d’espacements trop longs. La qualité de la glace joue pour beaucoup.
Désormais deux pointes mortelles sont le prolongement de mes mains.
Pour jouer au super-héros digne d’un Spiderman, il faut bien enclencher ses pointes dans les marches naturelles taillées dans la glace. Le temps de regarder où on met les pattes, il faut rapidement penser à s’accrocher le bout des bras dans les moindres fentes.
Clac, clac. Je dois exercer un coup ferme du poignet, du genre souple et non brutal. Autrement, je peux rester un bon moment à essayer de déterrer la hache de guerre, voire d’extirper mon Excalibur de l’interstice où je l’ai enfoncée.
Ensuite, mieux vaut être aussi agile que Sharon Stone avec ses piques à glace dans Basic Instinct plutôt que Sylvester Stallone dans Cliffhanger. Le temps de m’habituer aux trois premiers enchaînements, j’ai déjà progressé à plus de cinq mètres du départ et à plus de dix de mon assureur. Engagé sur ma crème glacée, je me demande comment tout tient sans se fracasser. Je lève la tête, et cherche d’autres prises à accrocher. Je caresse la glace, tout en hissant ma vieille carcasse qui commence à se réchauffer. Les muscles de mes épaules confirment que la paroi devient moins raide. Je m’habitue à jouer le brise-glace, à rayer ce miroir sans tain. Puis c’est la goulotte d’arrivée. J’y suis presque ! Soulagement complet. Je jette un œil au pied de ma falaise et même du cirque, là où les hommes sont devenus des fourmis. L’exercice a dû durer 15 à 20 minutes.
En bas, notre guide commente :
-Les gens ont besoin de sortir de l’ordinaire et de goûter à d’autres sensations.
JC le photographe qui me guette depuis un moment m’interpelle alors en me demandant de bien le regarder.
C’est cerise sur le gâteau ! Le moment de gloire à garder en mémoire, avec le sentiment d’avoir réussi à épouser le galbe de mon petit Everest.
Mais en relevant la tête, j’ai eu un haut le cœur en voyant JC, d’un geste mal négocié, me balancer sur la caboche toute la poudreuse qui s’était entassée sur le dôme de la cascade.
Alors juste avant de redescendre en rappel, comme j’avais le visage entarté digne des bons vieux films muets, j’ai pu opiner du bonnet :
-C’est bon, j’ai goûté à d’autres sensations !