Nouveaux récits haut perchés : 1/Le chemin des canons

Depuis le temps qu’on veut se le faire, Gérard et moi, ce chemin Vauban ou chemin des Canons, dans les Pyrénées-Orientales. Il a été créé par le général Luc Dagobert en septembre 1793, entre Sauto et Canaveilles, pour repousser l’armée royale espagnole qui avait envahi la vallée du Conflent. Il s’agissait pour l’armée française révolutionnaire d’aller bombarder les Espagnols qui tenaient Olette.

Avec Gérard, ce qu’on aime, c’est marcher sur les voies historiques. Cette fois, on est servi. On emprunte d’abord la voie romaine de Cerdagne jusqu’à Sauto. Quand nos pas, ensuite, traversent la Serra de la Clavera, un panneau nous indique que nous sommes sur le chemin Vauban. Hommage au maréchal Sébastien le Preste qui a construit la citadelle de Mont-Louis et fait restaurer d’autres forts dans les Pyrénées-Orientales. Ce chemin Vauban court depuis l’entrée du Capcir jusqu’ici en Conflent.

-Mais nous sommes aussi sur le chemin des Canons maintenant, assure mon compagnon de route.

-Mais comment tu en es sûr, Gérard ?

-Tu n’entends pas ? Parce que nous longeons le Puig de la Tossa qui  sert encore de complexe de tir militaire aux commandos de Mont-Louis.

Gérard redevient sérieux :

-A l’époque, ce fut une vraie expédition, car, partie de la citadelle de Mont-Louis, toute l’artillerie française est tirée par des bœufs. Elle ne doit pas trainer et surtout rester la plus discrète possible.

Nous marchons désormais en silence, sur une piste mangée par les herbes qui finit par être happée par la pinède de la forêt des Llançades. Quand d’un seul coup, nous tombons sur un drôle d’objet en bois caché sous le Roc de l’Arque.

-Wouah, lâche Gérard, c’est un abri portatif de berger ou caixa en catalan !

-Il est plutôt en bon état avec ses barres en bois pour le porter comme une chaise à porteurs.

On se penche sur la boite pour comprendre comment le berger pouvait s’y glisser pour roupiller et ne pas avoir froid en fermant les deux battants.

-Mais qu’est-ce qu’il fiche ici ?

Nous n’avons croisé pas une seule âme qui vive.

-Il doit servir à un berger qui remonte dans les Garroxtes. Après c’est le royaume des cerfs, des biches et des mouflons.

Nous descendons jusqu’au hameau de Llar, posé sur un promontoire face à la faille d’ouverture des gorges de la Carança.

On découvre la maison d’André Vick Mengus, photographe, collectionneur d’objets, érudit qui aimait tant créer et contempler le Canigou.

Gérard me dit :

-J’ai une idée. On va saluer Antoine, le responsable de Llar.

Il est midi et demi passé. Sa femme nous ouvre et nous fait asseoir dans la cuisine. Sous les têtes de cerf et de sanglier empaillés, Antoine arrive et se met à nous parler de sa collection de bois de cerfs.

-Vous n’allez pas repartir comme ça. Je vous sers un petit apéro.

Ce qui se révèle être un grand verre de pastis.

On avale notre coup, prêt à se tailler sans demander notre reste. Mais Antoine a le temps. Il continue de discourir sur le chemin que nous empruntons, sur les animaux qui peuplent la montagne. J’aimerais bien grignoter un apéro. La femme d’Antoine a dû entendre ma complainte par télépathie. Elle revient avec des bretzels. Antoine en profite pour nous resservir un deuxième coup. Mon ventre gargouille. La faim du tigre me dévore l’estomac. Cette fois, mon canon de jaune aussi bien tassé qu’un yaourt commence à me faire tourner la tête. Gérard en reprend un troisième, moi je refuse. Quand on sort enfin, nos corps partent en diagonale, nos têtes dodelinent, Nous descendons comme nous pouvons vers Canaveilles, bombardés de confusions et de répliques trop fortes.

Le chemin des canons n’a jamais aussi bien porté son nom.

Vous pouvez lire 40 autres anecdotes dans Nuit sur la Brèche et autres récits haut perchés, édition Gypaète, 2017.