Rééditer un chef d’oeuvre de la littérature
médiévale est une sorte de gageure aujourd'hui. C'est celle qu'ont relevé Christian Salès, le compositeur
musicien du groupe Oc et Anne Brenon, historienne du catharisme, en éditant, en 2012, La Canso (1208-1219),
chanson de la Croisade contre les hérétiques d’Albigeois ou Cathares. Ne cherchez pas dans cette "Chanson" le mot cathare, il n'existe à l'époque qu'en Rhénanie. On parle plutôt
d'eretges, hérétiques. On y évoque les valeurs de la haute société occitane et celle des troubadours (les trobars) : le Pretz (le courage moral et physique), la Mercé
(miséricorde ou bienveillance), le Joi (joie d'aimer), la Dreitura (la droiture) et enfin Paratge, “l'âme de la Canso, noyau idéologique autour duquel elle est construite”, souligne
Anne Brenon. Paratge, noblesse de coeur.
Des 9 560 alexandrins en langue d'oc de
ce grand poème épique, les auteurs en proposent une sélection de mille vers, traduits en français et en anglais, illustrés par des photos de Jean-Louis Gasc, spécialiste de l’histoire cathare. Quelle belle surprise ! Tout d'abord il faut écouter en fond
le nouvel album, Paratge, suite symphonique enregistrée avec l’orchestre national de Budapest et les
instruments du groupe OC composée par Christian Salès . Les partitions I, III, V et VI sont d'ailleurs les meilleures valant bien quelque bande originale comme Danse avec les Loups,
Le Seigneur des anneaux...
Ensuite, il faut plonger dans cet authentique document historique et littéraire du XIIIe siècle, précisément en 1208. Ses deux auteurs - véritables photo-reporters de guerre - relatent l’actualité : les batailles (Muret, Beaucaire, Toulouse) et les sièges
(Carcassonne, Minerve, Lavaur), les négociations (le Concile du Latran de 1215), la ferveur populaire et la civilisation des troubadours.
Deux auteurs complètement différents : le premier s'appelle
Guilhem de Tudèle, chanoine de Saint-Antonin Noble-Val. Il rédige les 131 premières laisses (vers), soit un moins de 2 800 vers. Le deuxième est l'Anonyme, troubadour occitan au souffle épique.
Là, on lira avec intérêt “le texte fondateur d'une conscience occitane ?” d'Anne Brenon qui analyse les raisons de la commande d'une Chanson sur le modèle de celle d'Antioche, chanson de geste
écrite à la gloire des croisade en 1130.
D'ailleurs, signale Anne Brenon : “Curieusement, cette oeuvre majeure de la littérature occitane médiévale n'est connue que
par un seul manuscrit : il est vrai que c'est aussi le cas du cas du Roman de Flamenca, oeuvre majeure du XIIIe siècle, dans le registre romanesque et courtois”. L'unique exemplaire
du Roman de Flamenca se trouve à la bibliothèque de Carcassonne (Aude) et mériterait, lui aussi, une réédition
réactualisée et expliquée.
Quant au troubadour anonyme, Anne Brenon dresse les pistes probables de : Guilhem Figuèira, Guilhem Montanhagol voire Pèire
Cardenal. “La Canso est l'oeuvre du combat des Toulousains ; l'épopée de futurs vaincus de l'Histoire, écrite au moment magique -1228- d'une victoire à portée de mains”. (...) “aux fins
d'inscrire la légitimité de leur cause dans une véritable Légende dorée”. Du fait “de sa propre inspiration et/ou sur commande de Roger Bernat de Foix”.
Le manuscrit unique, précieusement conservé à la Bibliothèque nationale de France, est orné de treize beaux dessins au
trait, illustrant des scènes du récit, mais qui n'ont jamais été enluminés. Anne Brenon et Christian Salès enchaînent désormais une série de conférences pour présenter ce travail
passionnant.
Grandes pages de la Canso, 1208-1219. Beau livre et le CD Paratge. Symphonique occitane, 40 min, 96 p., 29 €. Le CD Paratge seul, 16 €.